Main basse sur l'école publique
E. Khaldi / M. Fitoussi
Chez Démopolis
Un petit résumé
L'Education nationale, née de l'idéal de l'école
laïque, gratuite et obligatoire, est aujourd'hui en danger
de mort. Sous la menace d'une croisade qui, portée depuis
plus de 15 ans par les franges catholiques les plus intégristes
des mouvements ultra-libéraux, s'invite désormais
au coeur de la réforme économique menée par
l'actuel gouvernement.
Hallucination, fantasme ?
Hélas, ce scénario catastrophe n'est pas une lubie surgie de l'imagination fantasque d'un auteur de science-fiction. A l'heure où l'opinion prend la mesure des récentes et violentes remises en question du principe de laïcité en France, il est grand temps de s'interroger, sur ce que peut cacher le discours de Nicolas Sarkozy au Latran, en direction de nos chères têtes blondes. La mission éducative qu'entend mener Monsieur le chanoine d'honneur du Vatican, signerait-elle la fin de l'école publique ?
Ceux qui veulent en finir avec l'éducation
nationale :
Depuis plus de 15 ans, dans un relatif secret, un certain nombre
de groupements relevant d'une même nébuleuse clérico
libérale, s'agitent en catimini. Leur but ultime : démanteler
l'Education nationale et l'ensemble de son service public. Une
croisade amenée avec prudence et minutie. Mais une détermination
néanmoins implacable.
Au coeur de cette nébuleuse, à droite de la droite,
une douzaine d'associations : " Enseignement et libertés
", " Créateurs d'écoles ", l'"
OIDEL ", " SOS Education ", " FSP- Fondation
de service politique ", " Créer son école
", " CLE- Catholiques pour les libertés économiques
", " ILFM - Institut libre de formation des maîtres",
" Fondation pour l'école ", " Famille et
libertés ", " Mission pour l'école catholique
"
ou encore, l'ALEPS, " association pour la liberté
économique et le progrès social ", filiale
ultra-libérale du MEDEF, créée dans les années
60, dans le sillage de l'UIMM.
Leurs " penseurs ", leurs activistes, s'inscrivent dans
la mouvance des idées agitées dans les " think
tanks " de l'extrême droite, au sein du Front National,
du Club de l'Horloge. Voire, pour certains
de l'Opus Dei.
Toutes réclament, à corps et à cris, l'avènement
de la " liberté de l'enseignement " en France.
Qu'entendent-elles par " liberté " ? Il s'agit
en fait, d'organiser la mise en concurrence des établissements
scolaires, dans une optique de concession de service public voire
de marchandisation de l'école.
Celle-ci garantirait une " offre scolaire diversifiée
", sensée répondre à une attente désespérée
des familles, injustement privées de leur liberté
de choix... Des mots d'ordre libéraux bon teint, en apparence,
mais qui, en réalité, servent opportunément
la vision cléricale de ces nouveaux croisés. Ceux-ci
n'espèrent rien d'autre que le retour à l'école
d'antan. Celle d'avant la République, aux mains de l'Eglise.
L'école publique laïque, voilà
l'ennemie
A en croire plusieurs des associations précédemment
citées, au premier rang desquelles, l'hyperactive et bien
nommée " SOS éducation ", nous serions
à la veille d'un cataclysme insoupçonné.
L'oeuvre de Jules Ferry serait devenue un véritable bourbier,
une sorte d'antre du Diable porteur de tous les signes de décadence
de notre époque, coupable d'une entreprise criminelle de
corruption des moeurs de la jeunesse. Cette école serait
aux mains des syndicalistes de l'Education nationale, omnipotents
héritiers du bolchevisme, décidés, couteau
entre les dents, à faire de nos chères têtes
blondes de la graine de révolutionnaires nihilistes. Les
programmes scolaires sont stigmatisés, accusés d'intelligence
avec l'ennemi, par la diffusion d'une vision marxiste et culpabilisante
de l'histoire mondiale
Des profs incompétents et démissionnaires, impuissants
à endiguer la violence et l'échec scolaire montrés
du doigt à toute occasion. Au final, tous les maux de notre
société, seraient imputables à ce Monstre
froid, mammouth ingérable, fossile " comparable à
l'ex-armée rouge ".
Ces associations ne se contentent pas de stigmatiser les errances
du système éducatif, de la méthode globale
rendue responsable d'un illettrisme galopant, du contenu des programmes
ou de la baisse alarmante du niveau depuis plusieurs décennies.
Elles vont bien plus loin. " Dans le concert des "déclinistes",
rapporte un article de Libération le 6 novembre 2006, "SOS
Education est à part. Elle ne compte pas de personnalités
dans ses rangs et cherche désespérément des
alliés (
)
Le 24 octobre, Sauver les lettres, Sauver les maths et Reconstruire
l'école ont publié une lettre au vitriol, qualifiant
SOS Education de "groupuscule malfaisant". Car, au-delà
de constats communs, leurs buts divergent radicalement.
Dans la tradition laïque et républicaine, les trois
associations réclament une école plus performante.
SOS Education vise son affaiblissement, voire sa disparition.
Le 17 septembre 2005, devant le Cercle Frédéric
Bastiat qui se veut un haut lieu de la pensée, Vincent
Laarman (Président de SOS Education, NDLR) annonçait
la couleur : il n'y a d'espoir que "si l'Education nationale
se trouve menacée dans sa survie par la concurrence d'un
grand secteur éducatif libre". Et de citer les Etats-Unis
en exemple. "
Le but ultime ne serait-il pas, au prétexte de libérer
l'école, de faire disparaître l'école publique
?
A l'ombre de l'Opus
Mais les questions éducatives ne monopolisent pas leurs
foudres guerrières. Certaines associations entendent bien,
aussi, se mêler des questions touchant plus intimement au
" progrès des sociétés humaines ",
tel qu'elles le conçoivent. C'est que l'avortement, la
contraception, les prises de positions de Jean Paul II puis Benoît
XVI figurent parmi quelques-unes de leurs préoccupations
essentielles.
Dans notre nébuleuse, CLE, Catholiques pour les Libertés
économiques, dont les locaux se situent à l'adresse
même du siège de l'Opus DEI en France. Son Président,
Michel de Poncins, fut l'un des conseillers économiques
de Jean-Marie Le Pen.
Ou encore, l'OIDEL. Une ONG très influente pour le "Droit
à l'éducation" et la "liberté d'enseignement",
reconnue par l'ensemble des institutions européennes, mais
dont l'appartenance à l'Opus dei est révélée
dans force sites, documents officiels du gouvernement fédéral
genevois, et par l'engagement reconnu " à l'oeuvre
" de plusieurs de ses membres éminents.
Un document extrait d'un rapport comparatif de l'OIDEL sur 85
pays non encore publié est diffusé opportunément,
en avant première, le 22 avril 2007, à l'issue du
premier tour de la présidentielle, pour développer
la " liberté d'enseignement en France ". Pourtant,
il n'y a pas péril en la demeure de France nous sommes
en 5ème position. Que signifient cette pression et la publication
de ce programme d'action à ce moment de la campagne ? Que
d'attention de la part de cette ONG européenne pour notre
pays, en particulier à l'occasion de son Symposium de Lisbonne
des 7 et 8 septembre 2007. L'OIDEL se penchait sur notre carte
scolaire avec le concours des parents d'élèves des
écoles privées françaises de l'UNAPEL pourtant
non concernées par cette question. Cette entreprise pour
développer l'enseignement privé est également
conduite, aujourd'hui, par les mêmes avec une rare violence
en Espagne.
"Guide du candidat 2007/2008"
Tout cela ne porterait pas à conséquence, si l'écho
auprès des politiques et des pouvoirs publics, ne se faisait
aussi fidèle. Jusqu'à inspirer, avec une étrange
concordance, l'agenda de l'actuelle politique " de réformes
" du Ministre de l'Education, Xavier Darcos.
Dans le sillage de la campagne présidentielle, en 2007,
l'ALEPS et d'autres se fendaient d'une initiative pour le moins
audacieuse : l'édition d'un "Guide du Candidat 2007/2008
", véritable feuille de route énonçant
un catéchisme auquel devrait se conformer le candidat favori,
dans une logique purement libérale. Et le gagnant fut
Nicolas SARKOZY, arrivé en tête des notes attribuées
aux divers candidats.
En matière d'éducation, un " agenda des réformes
", assorti d'un authentique planning d'exécution,
annonce " dès 2007 ", entre autres mesures-phares
:
- " Suppression de la carte scolaire et sélection
à l'entrée des établissements scolaires et
universitaires "
- " Liberté totale de l'ouverture de classes, d'établissements,
et du recrutement d'enseignants et de personnel administratif
par contrat privé "...
Puis, à plus long terme, rien de moins que la " suppression
progressive du budget de l'Education nationale et du statut des
enseignants fonctionnaires "
ou encore, l' "autonomie
totale des établissements en matière de programme,
de personnel et de contrôle des connaissances
"
Dans son éditorial en ouverture de " la nouvelle lettre
" n°928, le 8 septembre 2007, Jacques Garello, responsable
de l'ALEPS, encourage le nouveau Président, avec cette
mise en garde, qui laisse songeur : " Vous allez vous mettre
à dos les syndicats d'enseignants à coup sûr,
mais aussi les associations de parents et de façon plus
large encore tous ceux qui sont attachés à l'idée
du service public unique et laïque de l'Education nationale.
Mais vous allez aussi sauver la jeunesse et, avec elle, l'avenir
du pays. "
11 juin 2007, Elysée. Toutes affaires cessantes, sous le
feu des caméras et des micros, Nicolas Sarkozy annonce
un assouplissement de la carte scolaire, dès la rentrée
de septembre 2007. Paris brûle-t-il ? Comment expliquer
une telle précipitation, de la part d'un Président
de la République à réunir, dans les tous
premiers jours de son mandat, les représentants des personnels
et des parents d'élèves à l'Elysée
pour traiter de la question de la suppression de la carte scolaire,
qui réussit l'exploit de s'imposer au rang d'urgence nationale
? Comme si l'immense chantier de l'éducation nationale
se limitait à la question de la carte scolaire. Rien n'indique,
de surcroît, qu'il s'agisse là d'une demande émanant
explicitement des parents, d'ailleurs la principale fédération
s'y oppose. En septembre, l'académie de Paris n'a enregistré,
en tout et pour tout, que 203 dérogations supplémentaires
par rapport à l'année précédente.
Une goutte d'eau.
11 juillet 2007 dans sa lettre de mission au ministre de l'Education
nationale, le Président de la République fixe parmi
ses objectifs budgétaires : " S'agissant de l'enseignement
sous contrat, qui répond à certaines attentes des
familles, vous ne dissuaderez pas les établissements privés
de s'installer dans des quartiers en difficulté et, au
contraire, vous soutiendrez, lorsqu'ils existent, de tels projets
d'installation, dans le respect des grands équilibres nationaux.
".
20 décembre 2007, palais de Saint-Jean de Latran, Vatican.
Nicolas Sarkozy, président de la République française,
est intronisé " chanoine honoraire ". Il s'en
félicite, déclarant que " la laïcité
n'a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes.
Elle a tenté de le faire. Elle n'aurait pas dû ".
Défendant le concept de " laïcité positive
", il enfonce le clou : " un homme qui croit est un
homme qui espère. L'intérêt de la République,
c'est qu'il y ait beaucoup d'hommes et de femmes qui espèrent
(
) ". Espérance que la République, sorte
de monstre froid, aux valeurs morales déconnectées
de toute transcendance, ne saurait nourrir ... " Depuis le
siècle des Lumières, l'Europe a expérimenté
tant d'idéologies. Elle a mis successivement ses espoirs
dans l'émancipation des individus, dans la démocratie,
dans le progrès technique, dans l'amélioration des
conditions économiques et sociales, dans la morale laïque.
Elle s'est fourvoyée gravement dans le communisme et dans
le nazisme. Aucune de ces différentes perspectives (
)
n'a été en mesure de combler le besoin profond des
hommes et des femmes de trouver un sens à l'existence (
)
Et puis je veux dire également que, s'il existe incontestablement
une morale humaine indépendante de la morale religieuse,
la République a intérêt à ce qu'il
existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions
religieuses. D'abord parce que la morale laïque risque toujours
de s'épuiser quand elle n'est pas adossée à
une espérance qui comble l'aspiration à l'infini.
Ensuite et surtout parce qu'une morale dépourvue de liens
avec la transcendance est davantage exposée aux contingences
historiques et finalement à la facilité."
Concernant l'éducation, Sarkozy se lance dans une vibrante
homélie : " Dans la transmission des valeurs et dans
l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal,
l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé parce
qu'il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice
de sa vie ".
Tollé au sein du monde enseignant, qui dénonce,
" une véritable provocation vis-à-vis de l'école
publique ".
Nicolas Sarkozy s'était déjà illustré,
en 2004 dans son livre " Les religions, la République,
l'espérance "
.Son coauteur : Thibaud Collin,
membre de l'association de service politique, " laboratoire
d'idées " intégristes, réputé
proche de l'Opus dei, et financièrement soutenue par le
Vatican. Thibaud Colin est, par ailleurs, l'auteur d'un pamphlet
hostile à une quelconque reconnaissance de l'égalité
entre homo et hétérosexuels
Thibaud Collin
était de la visite au Vatican. Le discours lu par Nicolas
Sarkozy, ressemble, par endroits, à un copier-coller de
certains passages de leur oeuvre commune. " Le besoin spirituel,
l'espérance, ne sont pas satisfaits par l'idéal
républicain. La République est une façon
d'organiser l'univers temporel (
). Elle n'est pas la finalité
de l'homme ". Une République qui " ignore le
bien et le mal ", pouvait-on déjà lire à
l'époque, veille du centenaire de la loi de 1905.
Ce 20 décembre, Henri Guaino, plume officielle du Président
de la République, n'était, de toute évidence,
pas de la partie.
17 janvier 2008, Ryad. Nicolas Sarkozy, en visite en Arabie Saoudite,
persiste et signe devant les 150 membres du Conseil consultatif
du Royaume, fief du wahhabisme, peu réputé pour
son esprit d'" ouverture ". Le président de la
République exalte ce qu'il nomme " l'héritage
civilisateur des religions "
L'islam, qu'il prend
la précaution oratoire de distinguer de l'intégrisme,
" négation de l'islam ", est appelé à
prendre toute sa place dans sa vaste " politique de civilisation
"
Pour paraphraser Thiers qui, lors du vote de la loi Falloux, justifiait
: " un curé c'est 50 gendarmes ", dans l'esprit
de l'ancien Ministre de l'Intérieur, un imam c'est 50 keufs
?
La rupture est désormais consommée avec la pratique
laïque des Présidents de la Vème République.
Nicolas Sarkozy est le premier Président qui emploie le
nom de Dieu, en visite officielle
Les religions, désormais
intégrées au pacte républicain. Ou instrumentalisées
?
Elysée, Ministère de l'Education ... Qui est aux commandes ?
Flash-back : 1992. Nous sommes à la veille d'un important
scrutin, les élections législatives de mars 1993.
150personnes d'horizons divers, dont une grande partie de hauts
fonctionnaires du service public de l'Education nationale et de
responsables d'établissements privés, fondent une
éphémère association : " Créateurs
d'écoles ".
Un organisme destiné à vendre de la formation ?
Pas vraiment. Le bulletin n°1 de Créateurs met en exergue
un objectif, qui en dit long : " l'identification des verrous
et les moyens de les faire sauter " (
) " problèmes
juridiques et financiers, rôle des collectivités
locales ", " gestion des personnels ", " outils
pédagogiques ", " élèves, affectation,
aide sociale ", " programmes d'enseignement ",
" personnels administratifs, techniques, ouvriers et de service
".
Afin de " faire sauter " ces verrous, l'association
préconise, non pas une révolution, mais une réforme
de velours. " Ce sera sans doute la partie la plus délicate
de notre travail, car il ne nous faudra pas tomber dans le piège
de la " réforme globale ", mais identifier avec
précision les actions nécessaires, tout en les rendant
possibles. (
.) La solution réside sans doute dans
la mise en oeuvre de dispositifs dérogatoires, qui n'obligent
pas à la remise en cause systématique de tout l'existant,
mais qui permettent d'importantes innovations au niveau des établissements
d'enseignement. " Un lent travail de déconstruction,
pièce après pièce, de la maison Education.
Un véritable projet de gouvernement.
Parmi les membres fondateurs de cette ambitieuse confrérie
: Maurice Quenet, Dominique Antoine et
Xavier Darcos !
Soit, dans l'ordre, l'actuel Recteur de Paris, le Conseiller Education
du nouveau Président de la République, et l'actuel
Ministre de l'Education nationale.
Carte scolaire, service minimum, modification du statut des personnels, soutien à l'essor de l'enseignement privé, diminution de la place de l'Etat dans les missions de l'Education Connexions, actions, déclarations, projets et programmes communs attestent de ce complot ourdi, dans l'ombre, depuis un peu plus de quinze années, en toute discrétion, par ceux-là même qui, aujourd'hui, sont aux commandes de l'Education nationale.
C'est sur l'histoire de ce complot, et l'identité de ses protagonistes que nous nous proposons, dans ce présent ouvrage, de faire toute la lumière. Et donner ainsi à comprendre, sous un jour nouveau, la politique éducative de l'actuel gouvernement
Les défenseurs des " racines chrétiennes " de la France réussiront-ils à déraciner l'héritage républicain d'une école laïque, gratuite et obligatoire ?
Sites utiles ou partenaires : Elus de la Montagne ; Maires Ruraux ; Maires de France Ecole de proximité ; Ecole rurale ; Ecoles maternelles ; Convergence Services Publics Pédagogie Freinet ; la vie scolaire Fédérations de parents d'élèves : FCPEmPEEP Syndicats enseignants: SNUIPP ; SGEN CFDT ; SUD Education ; UNSEN CGT UNSA SE ; SNUDI FO Association direction d'écoles : GDID Association instit maternelle : AGIEM |
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